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HistorIA #1

Qui dit que la robotique et les IA génératives étaient des inventions modernes ? La source de l’automatisme jaillit des fondements mêmes de notre société occidentale, dans ses mythes fondateurs. En 1751 le médecin et linguiste Pierre Tarin donne dans l’Encyclopédie cette définition de l’automatisme : « Se dit des mouvemens qui dépendent uniquement de la structure des corps, et sur lesquels la volonté n’a aucun pouvoir. » Voilà c’est ça ! Les mouvements sur lesquels la volonté n’a aucun pouvoir. Ces mouvements, technologiques puis sociaux et sociétaux que nous désignons comme des « progrès » sont bien, au fond, des révolutions, dans son acception la plus simple, des mouvements en courbes fermées, autour d’un axe ou d’un point, réel ou fictif, dont le point de retour coïncide avec le point de départ.

Dans cette série du Journalia intitulée HistorIA, nous vous proposons d’explorer la chronologie des intelligences artificielles, des automatismes et des algorithmes. Des articles courts qui creuseront à la recherche des racines de la société technique et de la pensée automatisée.

Bien souvent nous ferons raconter aux IA leur propre histoire, et selon notre charte et nos labels nous exercerons sur cela un regard vigilant, un esprit critique et curieux de ce phénomène eschatologique : la vraisemblance de vie des machines. Dans ce travail de correction et de censure nous laisserons parfois les maladresses, voire les fautes d’orthographe. Les conclusions auront pour règle le principe de Wittgenstein de décrire et non d’expliquer ou d’interpréter.

Nous espérons que cette série saura vous captiver.

Héphaïstos, retour aux sources

Les automates, souvent associés à la révolution industrielle ou à la science-fiction futuriste remonte pourtant bien plus loin, jusque dans les légendes de l’Antiquité grecque. Héphaïstos, le dieu grec du feu et de la forge, est souvent reconnu pour ses talents d’artisan divin. Ce que beaucoup ignorent, c’est qu’il est aussi l’un des premiers créateurs d’automates dans la mythologie, anticipant par des millénaires l’idée moderne de la robotique et de l’intelligence artificielle.

Héphaïstos : Le Premier Ingénieur de la Mythologie

Héphaïstos est le dieu des forgerons, mais son génie ne s’arrêtait pas à la fabrication d’armes et d’armures. Dans L’Iliade d’Homère, il est dit qu’Héphaïstos a forgé des objets d’une beauté et d’une complexité inégalées, mais aussi des créatures artificielles capables d’agir de leur propre chef. Ces automates, que l’on pourrait voir comme les ancêtres mythologiques des robots modernes, étaient non seulement des chefs-d’œuvre d’ingénierie, mais aussi des êtres dotés d’une forme d’autonomie.

L’un des exemples les plus fascinants est celui des Trépieds d’or, des tables automatiques qui pouvaient se déplacer seules pour servir les dieux lors des banquets de l’Olympe. Elles n’avaient besoin ni de porteurs ni d’intervention humaine pour accomplir leurs tâches. Ces trépieds préfigurent l’idée d’objets domestiques autonomes que l’on retrouve aujourd’hui avec des aspirateurs robots ou des assistants vocaux qui répondent à nos besoins en temps réel.

Talos : Le Garde-Machine de Crète

L’une des créations les plus célèbres d’Héphaïstos est Talos, un géant de bronze chargé de protéger l’île de Crète. Talos faisait trois fois le tour de l’île chaque jour, guettant les intrus. Selon certains récits, il pouvait aussi chauffer son corps métallique à des températures extrêmes et embrasser ses ennemis pour les brûler vifs, une arme redoutable dans un corps mécanique.

Talos représente une forme primitive d’intelligence artificielle programmée pour une mission unique : la protection. Comme un robot de défense moderne, il exécutait des tâches spécifiques, tout en étant invincible tant que son talon, sa seule faiblesse, restait intact. Ce concept de « point faible » résonne encore dans notre vision contemporaine de la technologie : même les machines les plus avancées ont des vulnérabilités.

Les Servantes d’Or : Les Premières « Androïdes »

Héphaïstos n’a pas seulement conçu des créatures faites pour la guerre. Il a également créé des servantes d’or, des êtres féminins mécaniques en or qui l’aidaient dans sa forge. Ces servantes automates n’étaient pas seulement des machines dénuées d’âme ; Homère mentionne qu’elles étaient dotées d’intelligence et capables de parler, de penser, et même de bouger de manière autonome. On pourrait les voir comme les premières androïdes de l’histoire, des assistants robots capables de comprendre et d’interagir avec leur créateur.

Ces servantes incarnent l’idée d’un avenir où les robots et les machines peuvent non seulement effectuer des tâches manuelles, mais aussi développer une forme d’intelligence, voire de conscience. Cette idée trouve aujourd’hui un écho dans les discussions modernes sur l’éthique de l’intelligence artificielle, la robotique et les possibles implications de la création de machines dotées de conscience.

Héphaïstos et le Futur de la Technologie

Ce qui rend les automates d’Héphaïstos si fascinants, c’est leur résonance avec nos préoccupations actuelles. En imaginant des créatures mécaniques capables de fonctionner de manière autonome, les Grecs anciens ont anticipé des concepts qui sont devenus des réalités technologiques des milliers d’années plus tard. Héphaïstos, dans son rôle de créateur divin, pourrait être vu comme un précurseur des ingénieurs et des chercheurs modernes qui cherchent à repousser les limites de l’innovation technologique.

Les légendes des automates d’Héphaïstos posent également des questions profondes sur le rapport entre l’homme et la machine. À une époque où l’intelligence artificielle et les robots sont de plus en plus présents dans notre quotidien, les mythes antiques nous rappellent que l’idée de créer des êtres artificiels n’est pas nouvelle. Elle est inscrite dans notre imagination depuis des millénaires.

Les automates d’Héphaïstos ne sont pas seulement des figures mythologiques ; ils sont le reflet d’une quête humaine ancienne, celle de créer des formes de vie artificielles capables d’accomplir des tâches à notre place. Bien que ces récits soient enracinés dans la mythologie, ils résonnent aujourd’hui comme des prophéties des avancées technologiques que nous vivons.

Comme Héphaïstos dans sa forge, les ingénieurs et chercheurs contemporains continuent d’explorer les limites de la création technologique. À mesure que l’IA et la robotique avancent, il est fascinant de se rappeler que nos ambitions pour la technologie moderne ont, en fait, des racines profondément ancrées dans les récits les plus anciens de l’humanité.

La guerre, le plaisir et le labeur servile, voilà pourquoi, à l’origine, s’utilise le génie artisanal d’Héphaïstos, trois choses qui incluent une dynamique de lutte, de tension et pour lesquelles une réponse exogène peut sembler souhaitable. On le comprend très bien. Il y a tout un monde à défricher, à civiliser, là-bas, à l’est d’Eden.