Article •  Évènement •  Tim Boucher

Croisade pour réglementer la créativité ; rien de nouveau pour un artiste

J’avais presque oublié mon ancienne alerte Google. Les notifications, généralement liées à des homonymes aux quatre coins du monde étaient routinières. Mais cette fois-ci, quelque chose clochait. Le courriel m’informait que mon travail artistique était au cœur d’un procès retentissant opposant Anthropic, un géant de l’IA, à des plaignants que je ne connais pas. Contre toute attente, je n’étais pas partie prenante mais cité comme référence. L’acte d’accusation dénigrait mes écrits, mis entre guillemets, en insinuant que l’utilisation d’outils d’IA, comme les générateurs de texte, disqualifiait mon statut d’auteur.

Artiste peintre et écrivain de longue date, j’ai intégré les outils d’IA à ma création il y a quelques années. Ces deux dernières années, l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle m’a permis de concrétiser un projet de science-fiction nourri depuis des années. Ce projet expérimental mêle IA, IArt et écriture hybride pour bâtir un univers fictionnel complexe et interconnecté. Grâce à ces nouvelles technologies, j’ai pu donner vie à mes idées les plus folles avec une rapidité inimaginable, multipliant ainsi ma productivité. L’IA m’a offert, en quelque sorte, des superpouvoirs créatifs.

Mes livres, désormais traduits et publiés en France, commencent à trouver leur public. En tant qu’artiste indépendant utilisant l’IA, je suis conscient de l’importance de cette première étape. Mes recherches sur le droit d’auteur français, qui diffère de celui des États-Unis, m’ont plongé dans les questions complexes liées à l’utilisation des données par les IA. Simultanément, en reproduisant une œuvre de Matisse et en étudiant l’histoire de l’art, j’ai réalisé un parallèle frappant : les artistes considérés comme révolutionnaires à leur époque deviennent souvent des classiques. Je crois que nous assistons à un phénomène similaire avec l’IArt.

L’histoire de l’art est jalonnée de querelles entre les mouvements. Chaque nouvelle tendance, de l’impressionnisme au graffiti, en passant par la photographie, a été accusée de ne pas être du « vrai art ». Les photographes, par exemple, ont longtemps été marginalisés avant d’être finalement reconnus. Aujourd’hui, l’art génératif subit le même sort. Ce cycle sans fin témoigne de la résistance inhérente au changement dans le monde artistique.

Si l’on restreignait l’entraînement des IA génératives à des données strictement autorisées, nous érigerions des murs infranchissables autour de l’innovation. Le coût exorbitant des licences de droits d’auteur exclurait les petites entreprises et les projets open source du jeu, laissant le champ libre aux géants de la Tech. Cette centralisation des ressources ne ferait qu’accentuer les inégalités et freiner la recherche. En somme, limiter l’accès aux données d’entraînement, c’est asphyxier l’innovation et favoriser les monopoles.

Si les détenteurs de droits d’auteur pouvaient tirer profit de l’essor de l’IA générative, c’est avant tout les grands conglomérats médiatiques qui en bénéficieraient. En effet, ces groupes contrôlent d’immenses catalogues de contenus et sont en position de négocier des accords lucratifs avec les géants de la Tech. Les petits créateurs et les artistes indépendants, eux, sont souvent laissés pour compte. Les exemples abondent : lorsque des plateformes comme Reddit ou de grandes agences de presse concluent des accords pour l’utilisation de leurs contenus dans l’entraînement d’IA, les bénéfices reviennent rarement aux créateurs originaux, mais plutôt aux entreprises qui les exploitent.

Même si les géants de la Tech devaient rémunérer individuellement les créateurs pour l’utilisation de leurs œuvres, les sommes versées seraient dérisoires. Prenons l’exemple de Stability AI : avec une valorisation de plusieurs milliards et un algorithme entraîné sur des milliards d’images, les créateurs individuels ne toucheraient que quelques centimes, voire quelques dollars par image. Cette situation illustre parfaitement le déséquilibre des pouvoirs entre les grandes entreprises technologiques et les créateurs indépendants. Les accords négociés dans le cadre de procès comme celui intenté contre Anthropic ne devraient pas changer fondamentalement cette dynamique, car les sommes en jeu seraient minimes par rapport à la valeur générée par ces entreprises.

En résumé, le modèle actuel ne favorise qu’une poignée de géants technologiques et médiatiques. Les créateurs indépendants, quant à eux, sont peu rémunérés pour leur contribution. Ce système, loin de stimuler la créativité, concentre les bénéfices entre les mains de quelques acteurs dominants. Face à cette situation, les artistes et les auteurs doivent collectivement trouver des solutions innovantes pour assurer une répartition plus équitable des revenus générés par l’intelligence artificielle.

J’ai longtemps observé avec prudence l’émergence de l’IA dans le domaine artistique, en soulignant ses limites autant que ses potentialités. Je partage ouvertement mes découvertes afin de susciter un débat constructif sur l’avenir de la création à l’ère numérique. Il est essentiel, selon moi, que nous discutions collectivement de la place de l’IA dans nos vies et de l’impact qu’elle aura sur nos pratiques artistiques.

Je partage les inquiétudes soulevées par les auteurs et les plaignants. Les grandes entreprises exploitent souvent les technologies pour s’approprier le travail des artistes, compromettant leur subsistance. Ce problème sociétal exige des solutions plus profondes que de simples questions de droits d’auteur. Il est urgent de trouver des alternatives qui bénéficient à tous les créateurs, quels que soient leurs outils.

Je suis convaincu que la loi sur le droit d’auteur doit permettre aux artistes d’étudier et d’analyser les œuvres existantes pour nourrir leur propre création. Reproduire un Matisse, par exemple, a été pour moi une étape décisive dans mon évolution artistique. En utilisant des outils technologiques pour approfondir mon analyse d’œuvres, je ne fais qu’étendre les possibilités de ma pratique créative. Il est crucial de préserver ce droit fondamental pour tous les artistes, et non de le laisser aux seules mains des géants de la Tech.

Le débat sur l’IA dans les arts ne porte pas sur le passé mais sur l’avenir de la créativité. L’enjeu est de garantir que cette créativité reste accessible à tous, et non réservée à une élite. En adoptant l’IA de manière responsable, nous pouvons préserver la diversité artistique et éviter la concentration des pouvoirs dans les mains de quelques géants. Le défi est de construire un écosystème qui favorise l’innovation tout en protégeant les créateurs des dérives monopolistiques. Plutôt que de rejeter les nouveaux outils, nous devons les utiliser pour amplifier la voix de tous les artistes.


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