Entretien •  EPJD

Vladimir Besson, enquête de lumière

Autodidacte passionné, Vlad a développé un langage photographique unique, marqué par une exploration constante des possibilités techniques et esthétiques de la photographie. Son œuvre, nourrie par ses influences musicales et cinématographiques, s’inscrit dans une tradition d’avant-garde qui cherche à repousser les limites de l’image fixe. Pourquoi s’entretenir avec un photographe ? Parce qu’à l’heure où l’intelligence artificielle redéfinit les contours de la création artistique, on se doit de rappeler que quand le procédé photographique est apparu, il a, en son temps, bouleversé les croyances et les habitus artistiques. Ce dialogue interdisciplinaire est sans doute plus utile que jamais.

¤ Vladimir Besson tu es photographe, est-ce que tu fais des photos ou est-ce que tu fais de la photo ?

Je ne suis pas photographe, je fais de la photo. Je ne sais pas trop pourquoi mais le « photographe » me renvoie à un imaginaire, un archétype d’un gars qui aurait plein de pellicules sur son veston. Je fais de la photo. Y’a des photographes qui ne font pas de photos ; j’ai connu un mec qui se disait photographe dont je n’ai jamais vu un seul cliché, que dalle. C’est le statut dont je ne veux pas, donc je dis que je fais de la photo, pas que je suis photographe. Peut-être en réaction avec le milieu parisien. Prétendre être ce n’est rien du tout parce que sans travail ça signifie quoi ? S’épargner les prétentions sachant que le plus important c’est faire et pas prétendre être en se perdant dans des stratégies sociales. Je veux dépenser mon énergie ailleurs.

¤ Qu’est-ce qu’une photographie pour toi, est-ce seulement le moyen de figer un moment sur une image ?

Socialement il y a toute une histoire de la photographie. C’est un truc de classe moyenne, un genre d’art accessible à tous, sans besoin de gros investissements. Je crois que Bourdieu aurait dit que les pauvres prennent des photos de leur famille, ceux des classes moyennes de leur réussite matérielle, la voiture, la maison, le chien et que les riches font des photos d’art. D’une certaine manière j’essaie de transformer mes prises de vues en image, qu’elles deviennent comme des gravures de Gustave Doré (sans prétention). C’est comme les pictorialistes : des photographes pour qui les photos sont comme des peintures. Ils voulaient être des peintres qui utilisent la photographie mais étaient finalement des photographes qui peignaient. Pour ma part je fais un mélange, non de peinture sur ma palette ou ma toile mais de références, de genres et d’époques. Je cherche l’intemporel ; en 2012 c’était à la mode de prendre des ananas en photo, si tu continues t’es un has been. Je cherche les choses et les activités intemporelles. Je remarque mes efforts pour saisir nos peurs primales, intemporelles. Nosferatu par exemple c’est l’image inquiétante par excellence, par référence, étrange, féérique et sombre. Je veux saisir cette esthétique et donc c’est autre chose que le temps que je veux figer dans mes photos… je veux prendre des photos que je saurai redécouvrir plus tard, qui ont quelque chose à me dire, que je ne sais pas encore, que je n’avais pas à dire quand j’ai pris le cliché. Quand j’ai fait mes études d’arts graphiques on était tout le temps dans la narration, tu fais dire sans arrêt ceci ou cela. La photo, par la réalité qu’elle saisit et qui s’impose à toi, provoque une sensation unique dont j’apprends à accepter les défauts et à apprécier les qualités.

¤ Certains puristes prônent qu’un bon cliché est très peu manipulé ou retouché (voire pas du tout) ; qu’est qu’une photo partage avec la réalité qu’elle a saisie ?

Qui invente ces lois ? Une amie m’a dit : « Fais comme tu veux. » C’est vrai qu’il faut de la technique mais pas uniquement. Comme dans un film, ce n’est pas seulement de la technique mais un scénario, des acteurs et du montage, la photo c’est pareil. C’est une sorte d’équilibre. Être artiste c’est maîtriser un langage, être singulier dans ce langage. Tu peux être photographe et n’avoir rien à dire.

¤ C’est donc autre chose que tu travailles à capturer ? Qu’est-ce que c’est ?

Je ne dis pas que je suis photographe mais ce que je vois et que je partage avec tous je cherche à l’exprimer dans mon langage. Dire que c’est vrai parce que c’est une photo est complètement faux ! Même un documentaire reste un point de vue et de même ce que je vois, je l’exprime, parce qu’il est possible que, ce qui m’est apparu dans un ensemble puisse se reproduire par un jeu de filtres, d’expériences, sur mes photos. Mon cliché ne partage rien de notre réalité commune mais tout de ma subjectivité sensible.

¤ Quels succès dans cette captation des marges invisibles, des segments obscures qui existent aux frontières de notre expérience sensible ?

Parfois le résultat s’impose à moi. Il m’est arrivé de saisir exactement l’atmosphère qui suintait sur moi. Je me rappelle d’une soirée white trash pendant laquelle j’ai eu le courage de prendre mon appareil ; le résultat était parfait. Une autre fois des photos ratées se sont révélées à moi, quelque chose de divin que j’avais capturé et c’est bien plus tard dans d’autres circonstances que j’ai eu les yeux et le cœur pour les découvrir enfin. Ce que je recherche c’est la beauté et l’inquiétant. Comme la musique, on ne peut pas écouter une artiste qu’on aime à tous moments. Il y a des œuvres que je « comprends » seulement maintenant. Le cri de Munch ou Bacon par exemple. Mes photos c’est pareil.

¤ Tu es influenceur ou influençable ?

Influençable, je m’aperçois que je suis influençable mais conscient que l’on peut choisir de qui ou de quoi. Est-ce que j’influence les gens ? Sachant qu’il faut rencontrer 100 personnes pour une avoir une seule bonne conversation je ne fais pas de promotion Insta parce que je ne veux pas que mon travail soit acheté par mes potes. Ceux qui ont acheté mes photographies ont aimé ce travail mais ne me connaissaient pas. Ceux qui m’ont influencé ne sauront jamais que j’existe et je ne connais pas ceux que j’influence, ils demeurent anonymes. C’est comme ça ! Ce sera un sur cent.

¤ Est-ce que tu as des figures de références ?

J’en ai trop. Roger Ballen, un photographe qui a su évoluer, c’est rare, il ne s’est pas accroché à son filon. Ceux qui trouvent la grâce dans la crasse. Boris Mikhaïlov, le gars est drôle et trash. Hans Belmer, un Surréaliste. Max Ernst, un peintre avec un univers extraterrestre. En musique : Death in June, György Ligeti, ceux qui transforment l’expérience humaine et sensible. Face au moche objectif. Avant j’habitais à Ivry, c’était laid et à force d’entendre de l’autotune et de bouffer kébab, j’ai compris que je devais dealer avec la réalité. Comment faire affaire avec la réalité, et je ne dis pas la vérité mais la réalité ? Comment supporter en restant connecté sans être perché ? J’oubliais, c’est impardonnable, Ivan Bilibine, son univers et sa ligne claire, le graphisme pur, le cadrage d’excellence.

¤ L’appareil photographique est ton outil artistique. Est-il aussi maniable qu’un pinceau ou un feutre ?

Je ne sais manier ni le pinceau ni le feutre mais j’imagine que oui. Je me rappelle un pote artiste, on prenait ses modelages et ses dessins en photo, quand on lui a fait essayer de prendre l’appareil il n’a su rien faire avec. Incroyable !

¤ Est-ce que les contraintes que l’outil t’impose te frustrent ?

La frustration vient que tu ne peux accéder à l’assouvissement de ton désir. Tu dois dealer avec les contraintes et c’est dans ces échanges que j’ai progressé. Avant je faisais du numérique et puis j’ai appris à faire sans l’instantanéité. Laisser le temps agir. J’ai des photos, comme je disais, que j’ai redécouvertes.

¤ Tu n’es soumis à aucune aliénation ?

Ma définition d’aliénation c’est être coupé des autres. Ça fait trois jours que je trimballe du bois et que je suis coupé de mes réseaux, je ne sais pas ce qu’il se passe. Il y a le monde mondain, celui des humains (t’as pas d’écureuils sur Insta) qui est extérieur au « vrai monde », et dans lequel, de manière hyper-localisé il est de bon ton d’aimer ceci ou cela. Être aliéné c’est être en dehors du « faux monde » et donc aliéné du « vrai ». Je sais pas si tu te rappelles l’Affaire France Télécom avec les suicides chez Orange ; alors que ça n’existe même pas « France Télécom ». Les Alpes ça existe mais les frontières non. Un écureuil ne se suicide pas parce qu’il ne fait plus partie de France Télécom parce qu’il est dans le vrai monde lui.

On pourrait voir ça en lien avec mes tocs aussi.

¤ La bonne photo est-ce qu’il faut aller la chercher ou est-ce qu’elle s’offre à toi ?

C’est un peu des deux, un mélange et la pire des erreurs est de tout faire cérébralement. Ce soir je vais faire des photos parce que demain il pleut et que j’ai vu du liseron envahissant qui forme une grosse vague végétale dans un champ. Je fais des prises de vue avec mon téléphone et puis ensuite je reviens avec mon appareil prendre des clichés de nuit.

¤ Comment est-ce que tu fais cette sélection photographique ? Dans la masse comment est-ce que tu gardes l’essentiel ?

Entre trois et dix photos pour une. Parfois trois pellicules. J’ai mis cinq ans à réaliser que je ne fais des photos que la nuit. Je n’ai pas de charte ou de recette bien que… pas floue, bon équilibre du noir et blanc, bon cadrage. Mes cours de composition à Corvisart m’ont beaucoup aidé. Je n’ai pas l’œil du photographe mais du graphiste. Je compose à l’ancienne.

¤ Le fantastique dans le quotidien se discerne d’abord avec l’esprit ou d’abord avec l’œil ?

D’abord avec l’esprit mais il faut un œil exercé dans tous les cas. Tout cela s’acquiert et s’apprend.

¤ En 2023, Boris Eldagsen a gagné un prestigieux concours de photographie avec une image générée par les IA. Il a déclaré vouloir « susciter la controverse » et a posé cette question : Le parapluie de la photographie est-il assez grand pour inviter des images d’IA à entrer, ou serait-ce une erreur ? Qu’est-ce que tu répondrais ?

J’ai tout de suite su que c’était une IA. Comment ceux qui ont décerné ce prix ont-ils pu ne pas le voir !? Eldagsen donne peut-être la réponse dans sa question. Ce n’est pas de la photographie, dans le sens où il n’y a pas de travail de lumière, c’est une image. Ce n’est pas créé à partir de la lumière donc par définition ce n’est pas de la photo mais une image en effet et donc il n’y a aucune controverse, c’est bidon. Un buzz si on veut mais pas de la controverse. Ça me fait penser à l’émission Culture Pub : On regardait des publicités télé à la suite et en fait c’était comme une succession de petits sketchs humoristiques et souvent à la fin de l’émission il y en avait une qui faisait un clin d’œil au spectateur, comme pour créer une sorte de complicité. On retrouve ce ressort dans les émissions genre Petit Journal et Quotidien ou dans des œuvres prétendument controversées genre Koons ou MacCarthy qui ne sont que des clins d’œil à un public qu’on flatte. Il n’a pas voulu faire une photo mais troller.


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